Avant-propos
De retour à Millau pour la troisième fois. Cette fois-ci avec un peu plus d’ambition, mon résultat aux 177 km de l’Ultra Marin du Morbihan m’a fait prendre conscience que les possibilités étaient sans doute plus importantes. Plus importantes que les limites dans lesquelles je m’enfermais. Même si un ultra reste un ultra et que la première des priorités est de le finir, je commence à penser qu’un 100 km de ce type rentre un peu plus dans la catégorie des courses de vitesse que d’endurance.
Depuis cet hiver, mon entraînement a été axé sur les progrès techniques de ma foulée et une capacité à courir plus vite sans faire plus d’effort. Ce travail a commencé à porter ses fruits. Depuis cet été et l’Ultra Marin, j’ai décidé de monter ma zone de confort. En gros, courir plus longtemps, plus vite en baissant ma Fréquence Cardiaque (FC) moyenne. L’idée est de pouvoir ensuite courir sur des distances supérieures à 100 km à une bonne vitesse sans être dans le rouge. Jusqu’alors les entraînements ont tenus leurs promesses. 2 semaines avant Millau, j’ai ajouté 2 semaines de travail sur des côtes entre 4 % et 9 % de dénivelé sur 15 km pour préparer ce parcours unique…
Arrivée à Millau le jeudi afin de profiter de 2 bonnes journées de repos et de soleil. Repos. La seule sortie en voiture est consacrée à une révision de la seconde boucle, LA boucle, celle où l’on prend les montées de Tiergues et de Creissels dans les 2 sens ! Pendant la reconnaissance, je répète mes gammes. « Tranquille, là en douceur, relâché ! Là je relance, tranquille, etc. ». Cette projection va être fondamentale.
C’est le week-end…
Arrive le week-end tant attendu, le temps est parfait (soleil, 21 °C et quasiment pas de vent), je suis – comme d’habitude – super stressé et comme l’an dernier, invitée surprise à la fête, une jolie rhino-sinusite me fait craindre le pire. K. s’occupe de la pharmacopée afin de limiter au plus les effets dévastateurs de ce joli rhume… ça tient.
Comme toujours, je suis stressé depuis une semaine et j’ai fait et refait le parcours dans ma tête avec tous les souvenirs des 2 dernières éditions, bien décidé à améliorer mon temps (11 h 15). Je me suis préparé un tableau avec les temps de passages que devrait respecter une course parfaite :
21 km | 42,195 km | 60 | 72 km | 84 km | 100 km |
---|---|---|---|---|---|
1 h 30 | 4 h 03 | 5 h 59 | 7 h 20 | 8 h 35 | 10 h 27 |
Un plan de malade, 48’ de moins que l’an dernier. Je me demande toujours pourquoi, je suis obligé de me mettre une telle pression ! ? En regardant le classement 2014, cela m’ouvrirait la porte des 100 premiers !
Trêve de plaisanterie, revenons à la réalité.
Le grand jour
Levé à 6 h 04 pour un petit-déjeuner essentiellement « liquide ». Un café, un demi tube de lait concentré sucré et quelques gâteaux. Rapide. Je vais essayer de grappiller encore un peu de repos, la nuit a été plus courte que prévue (1 h 30 de moins, l’arrivée « tardive » d’une copine de K. a décalé mes prévisions de 90 précieuses minutes). Mais c’est beaucoup mieux que la nuit précédente qui a ressemblé à une longue lutte contre ma charmante sinusite. Bref, le temps passe très vite en me laissant le temps de me réveiller. Mon sac est prêt depuis hier soir, reste uniquement à faire le plein d’eau et à me déguiser en coureur.
Départ à 8 h 30, cela me laissera 40’ avant le départ fictif pour entrer dans ma course.
Arrivé au parc de la victoire, je bois doucement, je profite, échange avec un coureur dont c’est le premier Millau, il vient du marathon. J’essaye de le briefer / rassurer sur la seconde boucle.
9 h 30, départ fictif, nous défilons dans la ville avec toujours cette impression des gladiateurs qui se rendent à l’arène. Mélange de fierté et d’inquiétude. K. est là, souriante ; sa copine fait quelques photos, pour une fois nous serons tous les 2 sur la photo de départ…
Je branche la musique, c’est étrange, je ne ressens plus aucune pression. Je ne suis plus dans l’ambiance du départ, je suis déjà dans la course. Les premiers km m’inquiètent, cela fait 4 jours que les muscles et les tendons sont douloureux, un de mes cerveaux semble encore essayer de me dissuader de tenter l’aventure. Affaire à suivre.
Tranquille
10 h 00, le départ, mes jambes partent toutes seules, 5 jours sans courir (une éternité) ont généré du jus, de l’envie. Je me suis positionné un peu loin du premier quart de la course dans les 600/700 premiers), je dois me frayer un chemin pendant 1 ou 2 km afin d’être dans le bon train de foulées. Et de ce point de vue, ma foulée est bonne, transparente, ma FC est au calme. J’ai même un peu de mal à monter en rythme, je me suis tellement répété pendant des jours et des jours que je devais passer le marathon tranquille, en pleine forme autour de 4 heures de course que cela semble être devenu un réflexe conditionné. 6’00 au km, puis 5’50, je me traîne un peu. J’ai décidé de ne pas surveiller ma FC, il n’y a aucune raison. Je pousse un peu, il serait bien que je monte un peu à 5’40 au km afin d’avoir un peu de marge car un des points de différence avec les coureurs avec un suiveur est le temps consacré aux ravitaillements. Ce temps peut énormément impacter la moyenne et donc le temps d’arrivée. J’ai décidé de tourner avec un arrêt ravitaillement de 4’ maximum tous les 20 km pour faire le plein d’eau avec un arrêt supplémentaire à Saint-Affrique pour manger un peu.
Arrive le traditionnel km 7 où les suiveurs tels des parents inquiets – le jour de la rentrée des classes – attendent leur progéniture. Tout ce passe parfaitement, dans la bonne humeur.
Tout va bien sauf les 3 arrêts toilettes avant le km 20. Étrange, le nouveau dosage de ma boisson isotonique devrait éviter ce type de désagrément mais ma rhino-sinusite m’a fait beaucoup boire !!
Le bon pilote
Je cherche un poisson pilote afin de pouvoir reprendre le temps perdu sur ces arrêts sans psychoter. Mon choix se fait sur une marathonienne : Manon, elle semble tourner entre 5’40 et 5’50 au km et elle est facilement reconnaissable à sa belle chevelure rousse et son T-shirt bleu pétant. Impossible de la louper. Cela marche super bien, le yoyo s’installe, nous nous retrouvons même de concert sur certaines portions.
Km 21, premier ravitaillement qui tombe bien, j’étais justement à sec. Passage en 2 h 00 (424e). Dans les temps et arrêt de 4’. Tout est nominal et en plus, aucune douleur musculaire, pas de gêne. Une vraie promenade. Par contre, j’ai beau chercher autour de moi, plus de Manon. Mince, c’était vraiment sympa… Je décide de ne pas trainer, je continue à doucement remonter des coureurs. Nous rentrons dans 10 km de montagnes russes.
Tout d’un coup j’aperçois Manon à quelques centaines de mètres devant. Chouette et maintenant je connais le point à atteindre pour compenser l’arrêt.
Les passages des petites côtes se passent dans la facilité. Tout est au vert. Même la petite montée à la Cresse au km 30 se fait comme charme, je prends un verre d’eau au passage tendu par une bénévole. Aérien.
Maintenant, c’est tranquille, redescente vers Millau pendant 10 km, je continue sur le même rythme. Par contre, je perds Manon qui devait être limite, surprenant, elle semblait vraiment bien…
Le blues du marathon
Les kilomètres avancent et mon entrain semble disparaitre petit à petit. Est-ce le fait de ne plus avoir de repère, de tomber dans une « facilité », une monotonie ? Je ne sais pas mais j’arrive à l’entrée de Millau avec l’impression que je ne peux pas aller plus loin. Comme moralement fatigué, je ne pense qu’à une chose : arrêter, « un marathon avec une sinusite, c’est bien. Et puis comme ça, cela ne prend que la matinée et je peux rentrer au calme avec K., ne plus jamais courir ». Ce motif devient même une petite obsession lors des 2 petits km de montée vers le parc de la victoire. Désespérant ! Je suis mentalement fatigué. Je cherche K. du regard, normalement elle est à une terrasse sur le début de la seconde boucle. Après le parc je chercherai ma bonne excuse pour arrêter.
Km 42.195, passage en 4 h 07 (361e), ravitaillement en 6 minutes (y compris la pause toilettes) avec des bénévoles toujours aussi adorables. Manon finira son marathon en 4 h 26.
Sortie du parc de la Victoire, je suis toujours en course mais pas fier. Je me traîne et j’ai l’impression de m’être fait passer par une quantité astronomique de concurrents. Aucune nouvelle de K., c’est chiant mais sans doute mieux ainsi. J’arrête de psychoter et je me reconcentre, je dois à tout prix me remettre dans la course et arrêter de penser à la montée de Creissels ou celle de Tiergues. De toutes les façons, je sais qu’il va falloir les prendre en courant, ne pas poser le pied à terre si je veux être au niveau.
J’ai l’impression de m’infliger une véritable torture mentale mais il est hors de question de lâcher. J’ai attaqué la seconde boucle, il faut la finir. Aller ! Bien entendu que je suis capable de faire un 100 km (« c’est le 3e, réfléchi, tu t’en fous du temps, du classement, un ultra ça se commence et ça se fini ou alors tu rentres avec les secours mais tu ne joues pas la vierge effarouchée ! »). Un coureur ça court et ça ferme sa gueule ! Je cours donc.
À part cela, physiquement, cela semble aller.
La petite butte avant la montée de Creissels me remet les idées en place, c’est aussi plaisant intellectuellement que physiquement, la descente est brutale et me remonte le moral, la concentration empêche mon esprit de partir dans tous les sens.
Je me retrouve après 6 km d’errance. C’est peu mais difficile, se vaincre soi-même reste un combat. Quel est le moi qui en sort vainqueur ?
Plus le temps de se poser de questions existentielles, Creissels est là, plus personne ne rigole. Dans les écouteurs Johanna Syze m’inonde de drum’bass up tempo, une vraie synchronicité.
La montée est donnée à 8 % par la DDE, il suffit de la prendre en relâchement, ce n’est pas la perf. pure qui compte, simplement le fait de ne pas lâcher. Malgré tout, je mets pieds à terre au milieu mais pour mieux repartir après 200 m de marche. Rythme moyen autour de 7’00 au km. En fait je ne m’en rends même pas compte, tout ce qui compte c’est de ne pas lâcher, de rester au contact du grand roux avec des Adidas orange fluo qui monte comme une brute, c’est prendre la descente vers Saint-Georges sans perdre de temps tout en me préparant au plat principal : Tiergues.
La descente se passe bien, longue, il fait chaud mais cela ne semble pas me gêner. Je suis en mode métronome, je bois bien, mange régulièrement. Il suffit de gérer les 7 km en légère montée vers Saint-Rome. Là, ravitaillement rapide et on repart. C’est fou comme ces kilomètres semblent toujours aussi longs, je ne me pose pas de question et pars à la chasse. Mon objectif est de compenser par avance le temps à passer au prochain ravitaillement. Donc, j’avance. 20 bonnes minutes avant le temps prévu, panne sèche. Ma poche à eau est vide, heureusement que j’ai ma flasque (500 ml) de réserve. Je ne pense pas avoir bu plus que prévu (normalement 500 ml à l’heure avec une compensation de 300 / 400 ml par ravitaillement). Rien de grave, cela va tenir sans problème. Tiens d’ailleurs Saint-Rome est déjà là.
Km 60, passage en 6 h 00. Bien !
Je suis en train de faire les pleins lorsque j’entends un brouhaha énorme. C’est le premier et futur vainqueur qui passe. Une vraie fusée, c’est brutal, une véritable machine de perforation. Il a attaqué dans la montée retour de Tiergues et assommé la course. Impressionnant. J’ai à peine le temps d’applaudir.
Je repars, toujours dans mon bon rythme, bien décidé à ne pas fléchir. Jungle by Night dans les oreilles : Attila !!
Le premier tiers des 4,5 km de montée se passe super bien, le second tiers m’oblige à marcher 3 ou 4 fois mais jamais bien longtemps. Résultat : la montée passe en 30’, il a fallu pousser mais c’est bon pour le moral, un vrai passage en revue des troupes. J’ai même profité de la montée pour saluer les 5 premiers… La montée se termine par un double faux plat avant de repiquer brutalement à gauche vers la descente de Saint-Affrique. Je m’aperçois que 3 ou 4 costauds que j’ai passé en revue pendant la montée se sont accrochés (dont Momo – c’était écrit sur son T-shirt – à qui j’ai chuchoté « Allez, Momo ne lâche rien » en le doublant). C’est brutal, je prends le virage avec l’impression d’être totalement aspiré par le groupe. Impression de puissance inouïe, je n’avais jamais ressenti cela, même lors d’un sprint sur piste. Je décide de ne rien lâcher et de relancer. Il reste encore 35 km mais le tempo est là.
Km 65, le prix à payer.
Premiers signes de crispation sur les ischio-jambiers mais ce sont surtout les quadris qui hurlent. Là, je sais que le retour vers Millau va être chaud bouillant. Mais normalement, cela doit tenir, je tire sur les quadris et ils hurlent, c’est normal. Maintenant, il ne faut pas que cela vire à l’émeute. Je décide de continuer et la bande de brutes finie par lâcher prise. Je ne me fais pas d’illusion, ils ont des suiveurs, ils vont donc me reprendre à Saint-Affrique. Peu importe, je me rappelle bien de cette descente suite à la reconnaissance en voiture, elle est longue (7 km), il faut la tenir pour ne pas trop perdre de temps, temps dont je vais peut-être avoir besoin, sur les montées au retour. Les quadris hurlent mais rien ne craque. Arrive le tour dans Saint-Affrique et le ravitaillement. Il était temps, je suis encore à sec.
Km 71, passage en 7 h 07 (7 h 15 officiel ? !), 181e. J’ai entre 5 et 10 minutes d’avance sur mon temps prévisionnel optimal. Une véritable folie. J’ai gagné 180 places, mais ça, je ne le sais pas. J’ai vraiment fait un Millau-Saint-Affrique d’enfer. 30 km en 3 heures avec 1 arrêt au stand et les 3 jolies côtes. Génial !! Maintenant, il faut rester calme, en étant réaliste, il reste 29 km et les crampes sont là. Il va être difficile de reproduire le même schéma surtout que la montée retour de Tiergues est la plus brutale, 7 km avec un petit mur pour commencer. Je décide de prendre le temps qu’il faut pour repartir « propre ».
Il me faut un peu moins de 10 minutes pour boire, manger, me masser les cuisses et les ischio-jambiers avec un petit mélange perso aux huiles essentielles. Le tout avec un tour aux toilettes car mes intestins ont décidés – au bon moment – d’organiser une protestation.
Je croise quelques regards à Saint-Affrique qui m’en dit long sur l’usure de chacun avec cette jolie chaleur et après 71 jolis km. Une féminine me demande son chemin alors que le panneau est en face d’elle, le grand gaillard roux barbu qui m’impressionnait dans la montée de Creissels semble perdu, ailleurs et ils ne sont pas les seuls. La montée de Tiergues a encore une fois fait son œuvre.
Et hop, c’est reparti !!
7 h 25 de course, je repars en marchant, j’ai l’impression que ma foulée est définitivement limitée. Nous sommes 2 dans le même état. J’aperçois un coureur et son suiveur à environ 150 mètres devant moi, l’instinct fait le reste. Je cours et je vais le doubler ! Le mur de la sortie de Saint-Affrique m’arrête à peine. Ma seule volonté va-t-elle suffire à me ramener à Millau à un rythme acceptable ?
Contrairement au passage au km 42, aucun doute. Je ne me pose pas la question de savoir si je vais le faire mais comment je peux le faire… Cela fait longtemps que je sais que je vais finir ce 100 km.
C’est là que l’entraînement et les efforts de cet hiver payent double. Puisque j’ai les quadris impactés, je vais rééquilibrer ma foulée, tirer un peu et solliciter plus les ischio-jambiers et les jumeaux, même sur les montées. Cela va tirer mais cela devrait éviter les quadris de tétaniser et de me lâcher.
C’est impressionnant, cela marche ! Et même mieux que cela. Même si je m’oblige régulièrement à marcher 1’30/2’ lorsque je sens la contraction de la crampe se rapprocher sur les quadris, Je suis dans le dur mais j’arrive à développer jusqu’à 5’55’’ au km dans la montée retour, plus de 10 km/h. J’observe les mines de plus en plus défaites de ceux qui descendent Tiergues, je retrouve quelques visages connus que j’ai méchamment distancés, y compris un joli coureur (superbe allure !) avec qui j’étais, il y a presque 25 km.
Irrésistible
Aucun coureur ne me résiste, même ceux qui jouent le yoyo une fois ne tiennent pas sur la seconde vague. Ils marchent souvent beaucoup plus vite que moi mais je cours nettement plus vite. Ce qui m’impressionne le plus, ce sont les suiveurs qui m’entendent arriver et qui s’écartent (merci, vraiment merci !!!). J’arrive sur un binôme dont le coureur semble un peu éteint mais le suiveur en forme et souriant lorsqu’un cycliste (un tout seul, déguisé en vrai cycliste) nous passe comme une fusée. Je lance un « Vas-y, fait ton malin ! » en rigolant et je trouve le suiveur à ma gauche pouffant de rire. Nous discutons un peu et il m’encourage en me disant que cela va aller. Je me tourne vers lui et lui lance avec un large sourire « T’inquiètes, cela va le faire » et j’accélère !
Cette montée est une vraie folie. J’avale les 7 km en 44’. Retour vers les 2 faux plats avant d’attaquer la descente vers St-Rome. Nous sommes au moins 3 à l’attaquer en même temps avec leurs suiveurs, je rêve d’une vraie belle descente, bien formés en escadrille. À fond, je te dis. Je ne perçois plus que certains regards amusés / effarés des concurrents qui montent et qui me voient développer une foulée de dingue. Rien ne m’arrêta jusqu’au ravitaillement de St-Rome. Je sais que malgré la sensation de perf., j’ai dû perdre du temps mais que 10 h 44 reste un temps possible. Je fais mon deuil de passer sous la barre des 10 h 30 mais 30’ de gagner sur l’an dernier c’est déjà bien.
Ne rien lâcher. Je plafonne à 4’55 au km dans la descente (plus de 12 km/h). Ne rien lâcher, travailler la foulée, c’est elle qui équilibre et protège mes quadris. J’ai l’impression de fondre sur les quelques coureurs descendants que je double. Sensations fantastiques, je suis dans les 20 derniers km de Millau et j’attaque ! Il faut finir ! Oui mais comment ? C’est simple, comme à l’entraînement. 20 km, c’est beaucoup plus court que mes sorties courtes, donc rien ! C’est un simple aller-retour à Bastille. Je sais faire et même sans problème, je lâche tout et cela va le faire !!!
Profiter avec Pretty Lights dans les oreilles.
Un dernier pour la route
La descente se passe bien, la foulée libérée. J’arrive vite sur Saint-Rome. Dernier ravitaillement pour moi avant l’arrivée, je fais le plein, je mange et j’échange quelques mots avec d’autres coureurs notamment un qui réclame de l’Aligot afin de pouvoir finir. Bonne ambiance et des bénévoles aux petits soins, l’une d’entre-elles prend le temps d’aller chercher, fouiller dans les réserves pour me trouver de la St-Yorre. Comme d’habitude, ces longues minutes d’arrêt vont encore me coûter des places car les coureurs accompagnés ne s’arrêtent pas et continuent sur leur lancée. C’est vraiment le moment où j’aurai adoré pouvoir fondre tout droit sans même avoir à poser un pied le long du poste de ravitaillement, simplement ravitaillé par mon suiveur.
Peu importe, je repars sans me poser de questions, sans doute et avec une certitude : je suis au km 84, il est 18 h 50 et il fait encore grand jour. Il n’est pas impossible que je puisse réaliser un de mes rêves, finir Millau sans devoir utiliser la frontale, voir les 20 derniers km de jour !! C’est amusant j’en parlais à K. avant le départ en lui disant que serait génial d’y arriver un jour.
Il me suffit de me détendre, de laisser la foulée aller. Je suis bien conscient que cela va tirer mais 10:40 n’est plus délirant. Il reste un long faux plat descendant, une grosse bosse et la traversée de Millau. Il ne va pas falloir se poser de question. J’accélère, enfin, c’est la sensation que j’ai… Je tourne à moins de 5’30 au km. J’arrive à 5’20 au km à Saint-Georges. Je continue à reprendre des coureurs, je passe devant le ravitaillo comme une flèche et j’ai un petit groupe de coureur en ligne de mire avant qu’ils attaquent la montée de Creissels. Je me focalise sur ce groupe lorsque je vois un avion de chasse sortir du ravitaillement. Je reconnais son T-shirt (une grosse inscription en cyrillique), je l’ai croisé lors de la descente vers Saint-Affrique, il devait avoir au moins 4 km d’avance. Étrange. L’espace d’un instant je me dis que je pourrais le prendre en chasse. L’espace d’un très court instant, le temps pour moi de réaliser qu’il repart comme une fusée. Totalement irréaliste d’essayer de le suivre. Il a dû faire un gros arrêt soin à Saint-Georges. Impressionnant.
Même plus peur
Je me reconcentre vite sur ma course. Je monte vers le viaduc avec une bonne foulée. Quelques petits passages à pied mais globalement cela monte bien. Je double même un vélo qui semble au bout… Je n’avais jamais fait ce passage de jour !
La reconnaissance en voiture la veille m’a permis de prendre quelques repères et d’être patient dans cette montée à double détente. Arrive la grosse descente, une nouvelle fois, je lâche la foulée, je tourne entre 4’55 et 5’05, génial. Je continue à ramasser des coureurs. Soudain je vois d’abord passer un vélo puis un coureur. Je regarde ma montre, je suis à 5’00 au km, il doit être à 4’50 au moins, il est tout droit, facile. Je reste calme, je ne vais pas prendre de risque, les quadris et les ischio sont à l’équilibre, l’important est de conserver cet équilibre.
Au pied de la descente nous remontons sur un petit raidillon d’un peu plus de 600 mètres et là j’aperçois le coureur qui venait de me mettre un vent, mettre pied à terre ; supplément de motivation, c’est moi qui le passe comme un courant d’air. Dans la foulée je laisse sur place un petit groupe aux T-shirt jaunes. Je ne me pose plus aucune question, je fais sauter tous les verrous mentaux en me disant que cela doit tenir jusqu’à l’arrivée. Il doit rester moins de 4 km.
Un peu moins de 2 km de descente jusqu’au pont rouge. Je me fais rejoindre pas un coureur qui a l’air bien solide. Cette fois-ci je ne lâcherai rien, les verrous tombés, je peux relancer et passer entre le vélo et le coureur puis je pose une petite mine histoire de voir jusqu’où il peut jouer. Il résiste, je continue en me disant qu’il va falloir le laisser partir et tout d’un coup, il disparaît ! C’est lui qui a craqué. Je continue d’appuyer. Le pont rouge passe comme un charme et j’attaque les 2 derniers km de montée vers le parc de la Victoire. Ça y est j’y suis, je vérifie ma montre. Aller c’est jouable, il ne faut rien lâcher, les 10 h 30 sont là. Les cuisses hurlent, les crampes aussi sont là mais je n’écoute plus les alertes on fera le compte des dégâts après la ligne d’arrivée. Je relance. Je sais qu’il va me falloir un petit coup de pouce et arrivé sur le pont rouge je sors mon baladeur pour jouer « Attila » le dernier titre de Jungle by Night au festival de Vienne l’an dernier. C’est de la dynamite quantique en prise directe avec le cerveau et les fibres musculaires.
À fond, droit vers le bonheur
J’y vais à fond, j’ai la FC à plus de 160, 5’20’’ au km et suis ailleurs. Je continue à remonter quelques coureurs dont un où j’ai un bout de scrupule, cela fait plusieurs fois que l’on se croise et il dégage une grosse impression de puissance. Mais la course est la course, rien ne m’arrête. Arrive la rue de la république, l’émotion est là, la gorge serrée, les yeux humides. Je chante, j’hurle, j’harangue les spectateurs. Génial. Allez ne rien lâcher, 10 h 25. J’accélère. Le parc est là et je me retrouve avec le meneur d’allure à 10 h 30, je le regarde : « eh bien, dis-moi, tu es une véritable horloge suisse », il me regarde avec un sourire malicieux : « j’suis un peu en avance alors je ralenti », 1’ de décalage sur une course de 10 h 30. Respect !
Dernière ligne droite, je profite de tous les encouragements. Tiens, le vélo doublé dans la côte du viaduc arrive aussi. L’arrivée est là. Entrée dans la Halle. 10 h 27 à ma montre (et 10 h 28 au chrono de la course – pris sur le départ des premiers) : 125e au général et 19e de ma catégorie. K. est là, gros sourires. Bonheur. Le speaker vient me serrer la main et me glisse « tu te rends compte, moins de 10 h 30, c’est vraiment super ce que tu as fait… ». Merci, milles mercis, je n’oublierai pas, c’est ma récompense ! On me tend mon diplôme et une bénévole tout sourire me remet la récompense des finishers (un gros bonnet 100 km et une paire de gants pour les sorties hivernales). K. est avec moi, sourires !!!
Maintenant retour à la réalité. J’ai les cuisses raides en béton armé mais je suis étonnamment frais. Je me couvre car la fraîche tombe et je n’ai pas envie d’alimenter ma rhino-sinusite. J’ai soif.
Retour en douceur vers l’appartement, le petit km en pente douce ne va pas faire de mal, nous encourageons les coureurs qui arrivent. Certains envoient vraiment encore bien.
Les cuisses sont de plus en plus raides et les 4 étages sans ascenseur pour atteindre la douche sont douloureux, K. monte beaucoup plus vite que moi. La nuit va être difficile. Entre l’effet Zébulon d’une course et les courbatures, elle risque d’être longue avec peu de sommeil. Double séance de Compex afin de faciliter la récupération.
Épilogue.
Petite nuit et les cuisses sont bien raides mais finalement pas si dramatique que cela, la promenade en ville pour prendre un café puis déjeuner n’est pas si difficile que cela. Bonne surprise.
Le bilan est bon, 2 ampoules, aucun ongle de pied touché. J’ai finalement transformé un 100 km en course de vitesse, il va définitivement falloir aller chercher plus loin ou avec beaucoup plus de dénivelé. Tout cela est rassurant, le travail de cet hiver puis la préparation cet été donnent de bons résultats. Plus de 45’ gagnées en 1 an avec une véritable impression de maîtrise. Le seul petit regret est de ne pas avoir eu plus confiance en moi et ne pas avoir été plus rapide sur la première boucle. J’aurai pu passer sans problème en 3 h 50 au marathon ce qui m’aurait permis sans doute de faire moins de 10 h 15 et rentrer dans les 100. Par contre, mon plan de marche optimal a été respecté à la lettre. Excellent !
36 heures après l’arrivée, cela tire encore un peu mais plus de courbatures. Tout va bien.
La promenade en chiffres
- Distance : 100 km (101,2 à mon GPS) ;
- Vitesse moyenne : 9,7 km/h (10.14 en vitesse réelle moyenne de déplacement) ;
- FC moyenne : 149 ppm (bien) ;
- D+ : 1 300 m ;
- Énergie dépensée : 9 600 Kcal ;
- Consommation d’eau : environ 7 litres ;
- Classement au scratch : 125 ;
- Classement V2H : 19 ;
- Nombre de partants : 1 696 ;
- Nombre de finishers : 1 421.
La météo
Soleil 22 °C à l’abri, une belle impression de chaleur.
Le matériel utilisé
- Short et casquette Salomon ;
- Falke pour le T-shirt ;
- Un sac Slab, 320 g, 12 litres et une merveille ergonomique en course ;
- Asics, Kinsei 5 pour les chaussures ;
- Petzl Nao pour la frontale qui n’a pas servie ;
- Cébé, s’track pour les lunettes.
La playlist
- Zoé Keating, One Cello x 16 : Natoma ;
- Zoé Keating, Into the trees ;
- Jane Woodman & Zoë Keating, Sister Europe / Tango EP ;
- The Police, Regatta de blanc ;
- Joanna Syze, Rodina ;
- Joanna Syze, Summer time et autres…
- DJ Syze, Rodina Remixes on Guerilla Radio for Dof On Acid ;
- Jungle by Night (concerts de 2012 et 2014) ;
- Pretty Lights, A Color Map of the Sun (studio) ;
- Pretty Lights, A Color Map of the Sun (Live & Remixes) ;
Le site de la course